Un air d’avant

DSC_3484

Emmenez-moi voir la mer !

Il y a eu une fenêtre de tir, il ne fallait pas la rater. Le ciel était bleu, prometteur de beaux jours, avec l’envie de respirer, enfin, un grand coup. Soulagée après tant de tourments. Aspirer aux vacances, à refaire des projets. Retrouver le chemin du Sud, perdu de vue depuis un an et demi, au moins, certainement plus. Je ne compte plus les jours depuis que je fus confinée —comme des millions— cherchant d’abord à comprendre, vainement, avidement. Puis, renonçant à raisonner, oubliant d’écrire, n’osant plus même poser les questions qui dérangent. À guetter les chiffres, sur le fil quotidien d’un macabre bulletin, espérant la fin du printemps. Ployant sous le poids de la vague, le dos courbé, le nez bouché, à coudre des masques, avant que la machine ne tombe en rade. À sortir à demi, et même moins.  À trembler et à tousser, douloureuse épreuve à traverser. D’autres s’en sont sortis plus ou moins bien, sans passer par la case des urgences, alités à attendre que ça passe en évitant de trépasser. Ils sont immunisés mais la connerie a continué ses ravages. Se taire. Sans écrire durant des semaines, je vous ai épargné le récit de mes jours sans rêve et de mes nuits sans trêve. J’étais enfermée, renfermée, comme sidérée, comme des milliers.

Non, je ne compte plus les heures depuis ce jour de mi-février, où en allumant la radio, j’ai su que je ne l’entendrais plus. Il y eut certainement beaucoup de monde à l’enterrement. Ce genre de rassemblement qui — de l’Oise à la Wallonie Picarde — réunit toutes les conditions de la propagation d’un virus, avant qu’aucun média n’en parle. Un jour, le ciel vous tombe sur la tête, sans crier gare. Pourtant des trains, j’en ai pris la nuit et je mens toujours à travers la plaine. A travers les ondes, disparus les échanges, envolées des confidences, effacés les éclats de rires. Facétieux complice qui a tiré sa révérence, sans émettre aucun avis de tempête. Comme un alter qui s’enfuit sans bruit. C’est ainsi aussi que l’encre s’est tarie, avec l’envie de partager. Toujours dire merci à ceux qu’on aime, merci d’être là, merci aux amis. On en parlait, quelques fois, ici aussi.

IMG_4660

C’est quand on rame qu’on voit ses amis !

Or, donc, j’ai repris le train qui était à quai et même à l’heure. L’ascenseur de la voie 10 fonctionnait parfaitement. Tout était soigneusement fléché pour suivre le parcours du combattant. Dans la grande gare, le plan Vigie Pirate était activé. Les toilettes, toujours payantes, étaient à nouveau ouvertes. Les snacks en-plastifiés, les échoppes vides et les clients absents. La police en nombre, les stewards en rouge, les hommes de ménage en blanc, les femmes de service en jaune, les superviseurs en bleu, et les masques de toutes les couleurs. Aucun contrôle au final mais un départ décalé en deux temps, pour nettoyage retardé. On soigne autant la sécurité que la parano mais tout le monde est très docile. Les sourires travestis ne trahissent aucun vent de panique. Seuls les médias s’affolent, seuls les réseaux s’enflamment. Pour tromper la chaleur, pour respirer, il faut boire. Ou manger, pour réussir à ôter le masque. Moment de liberté dérobé à l’attention du contrôleur qui répète inlassablement que le port est obligatoire, sur le nez et la bouche, pas la tête, ni le cou. Sur un trajet total de neuf heures, depuis la maison jusqu’à l’appartement, je vous laisse calculer combien de fois j’ai voulu boire, goulûment, lentement, posément, éternellement, jusqu’à plus soif !

Dans la ville ancienne, retrouver les traces d’un passé toujours présent. Si peu a changé mais tout a bougé. Floraison de rues piétonnes, où les cyclistes s’épanouissent sans complexe. Des kayaks, avec gilets jaunes, désormais se faufilent sur le pont. Très logiquement aussi, désormais, on arpente des ramblas le long des remparts. Des enseignes nouvelles et beaucoup d’enseignes fermées, et pas seulement à cause de l’été. Le cyclo-panier a disparu. En huit ans, de la livraison à vélo de produits locaux, gariguettes, fromages et saucisson à foison, jusqu’à la fabrication de sandwiches sans égal durant le festival, il a vécu le temps d’un magasin aux Lices puis d’un autre aux Carmes.  De la fermeture du premier, il y a trois ans, à celle du second à présent, quelle tristesse ! Nouvel avis de décès qui m’affecte plus que je ne voudrais. Le bar à chats est toujours là mais le jeune patron a passé la main à deux dames patronnesses. Tout bouge, qu’est-ce qui change en mieux ? Le tram circule en silence. Il ne me conduit nulle part où je veuille aller tandis que le bus qui m’amenait au centre a été détourné. Il me faut à présent marcher sous le cagnard, avec un filet et sans canne, mais toujours avec le chapeau en évitant qu’il s’envole bien sûr !

IMG_4606

Ça circule tranquillement mais très chaudement ! (10h20)

Depuis mon arrivée, Mistral a fait relâche. Trois jours seulement, il a soufflé pour nous permettre de respirer un peu. Sur le petit marché, le paysan affirme qu’on peut être contents, tout le pays est en canicule mais pas ici ! Enfin, dans la chambre quand même, 30 degrés la nuit, avec une humidité relative à 97%, j’appelle ça un sauna transformé en hammam, tandis que l’après-midi à 37° ressemble à une fournaise sans ventilo. Manquerait plus que j’ai la fièvre et qu’on appelle ça corona ! Devant le laboratoire d’analyses de l’avenue, les files s’allongent. Grappes d’impatients, d’inquiets, d’innocents, qui s’agglutinent comme dans un mauvais film. Sûr que c’est le meilleur endroit pour croiser ce qu’on veut éviter. Mistral revient, ils sont devenus fous !

Au jardin, les trois voisines se réunissent à l’heure de l’apéro pour pousser la chansonnette comme au temps des guinguettes au bord du Rhône. Ah, ce petit vin blanc qu’on boit sous la tonnelle… Sur la plage, à condition de se lever tôt, la mer est encore fraîche et le sable déjà chaud. La foule arrive avec la régularité d’un métronome réglé sur le thermomètre qui grimpe. Il n’y a aucun débordement, chacun garde son parasol et son frigo près de soi. Nager fait un bien fou, même si on a perdu du tonus et que les muscles ont fondu.  Déjeuner en terrasse, en toute tranquillité, la serveuse a les yeux rieurs malgré la chaleur et le trop plein d’heures creuses. Au cœur de la nuit, les illuminations réjouissent les familles en quête de divertissement. Les murs qui s’effondrent ne sont que projections de l’imaginaire et la musique de Moskowski adoucit les mœurs. Maintenir enfoncée la touche pause. Mémoriser les instants bariolés.

Le temps des bulles au carré !

Sur la place des Corps Saints, l’ambiance était encore à la fête. On aurait même pu se croire en vacances, hors festival. Les enfants riaient, les parents parlaient, les jeunes pétaradaient, les anciens s’asseyaient, les cyclos circulaient, le virus chômait. Seuls les serveurs déguisés dégustaient et même dégoulinaient. Les flics nous dévisageaient incrédules, aucun comportement contraire à verbaliser, les distances raisonnablement respectées. C’était le bon temps, presque comme au temps d’avant. Certes, on fondait sous la canicule, on flanchait sous l’ozone, on souffrait sous les tropiques mais on a évité la contrainte du masque obligatoire en rue, à une nuit près ! On respirait… mais pour combien de temps encore ? Nos vies morcelées n’ont pas fini de se déliter sous les coups d’une normalité assortie de moralité. Tout cela confine au mieux à la stupidité au pire à la dictature, qui avance à peine masquée. Pendant ce temps, la Terre continue de souffrir, donnez-lui un peu d’air, donnez-nous un peu d’espoir !

IMG_4653

Au balcon, sous vos applaudissements…

Confinée, l’étudiante a brillamment réussi son second mémoire !

One thought on “Un air d’avant

Leave a comment