Premier printemps

Dans le Nord, voici qu’au 21 février de l’an 21 du 21e siècle, naît le printemps. Un jour étrange, où les gens sont à la fois masqués et légèrement vêtus, où le soleil prend le dessus sur les arbres encore nus. Un jour où le bleu s’installe, profondément, comme dans le Sud. Une journée où le vent est supposé ramener des nuages de sable du Sahara qu’on ne voit pas. Il fait 17° à midi alors qu’il faisait -13° à minuit, la semaine dernière. Une amplitude de trente degrés en huit jours de nature à affaiblir des organismes fatigués par le changement d’année sans changement de perspective. Les voilà soumis à rude épreuve nos corps vieillis, aguerris à l’hiver, même les plus immunisés à coup de vitamine D et autre zinc d’apothicaire qu’on prend au petit déjeuner, comme chaque matin depuis six mois. Pourtant quelle respiration bienvenue, quelle euphorie dans l’air soudain ! Comme un parfum de liberté.

Sous la citadelle, l’herbe et la plage

Hier, une foule est sortie masquée et grimaçante, déguisée dans les rues, en chantant et dansant sur la place, juste en face et à côté, devant les cafés fermés. Ceci est un lieu essentiel, ont-ils scandé, en jetant des confettis. La police a sévit, on ne sait exactement pour quel motif. Quatre personnes rassemblées sont autorisées à l’extérieur et les cercles de craie tracés au sol montraient qu’il y avait bien plus que quarante voleurs de liberté qui ne violaient aucune règle. A l’intérieur, c’est différent, bien sûr puisqu’on ne peut toujours recevoir qu’une seule personne chez soi, la même personne, durant une période de trois ou de six semaines, qui s’en soucie encore. Depuis Noël, on ne sait plus très bien si on peut encore inviter mère-grand et le papet en même temps dans sa bulle ! On ne voit plus les cousins, ni aucun ami de près ou de loin, sauf au jardin et pour autant qu’on ait la terrasse. Bien sûr, il faut être rentré chez soi avec l’avant dernier métro à Bruxelles, pour 22h en Wallandrie, pour 24h en Flandre, pour 18h en France, pour 21h aux Pays-Bas, sauf que dans ce dernier pays, le couvre-feu a d’abord été déclaré illégal par un tribunal avant d’être légalisé par le Parlement ! Nulle part pourtant, cette mesure absurde n’a prouvé aucune efficacité. Au début du mois, en pleine dystopie, un ami est venu qui très vite est reparti. Une exposition nous avons visité, qui était autorisée dans une église en musée transformée. De la grande évasion nous avons rêvé !

Il était une fois dans l’Ouest où j’étais

Dans les rues désertes, vite on presse le pas, le front bas, le masque de base, un cabas ballant à chaque bras. Sortir au quotidien, ce n’est plus sortir d’une routine bien rodée. Attendre devant le magasin, deux personnes à la fois maximum, c’est écrit en grand. Alors même par grand vent, on attend sagement. On prend un panier, on met du gel sur les mains, gluant, collant, giclant, transparent ou tout simplement absent ! On slalome entre les clients sans visage, on sourit en vain à la caissière qui n’a pas compris le message. On s’éloigne, à pas comptés, on évite le bus bondé, tous compressés. On préfère encore marcher même si on est drôlement essoufflé dans la montée. Le masque détrempé, l’air se fait rare, le nez coule, le pas devient lourd. Si seulement on pouvait croiser un regard, s’arrêter pour parler, de tout, de rien, rire aux éclats, se poser en terrasse, regarder les enfants jouer au ballon sans appréhension.

Still standing for Culture

Derrière le rideau métallique, un café fermé qui ne rouvrira pas. Un peu plus loin, le bistrot ma voisine, comme tous les restaurants, est fermé depuis quatre mois, et pour la deuxième fois. Sa patronne touche une indemnité qu’on appelle droit passerelle mais elle avait déjà licencié la moitié du personnel au premier confinement. Employée à temps partiel, ma riante voisine touche un chômage réduit, qui ne lui permet plus de vivre décemment. Par chance, avec son chien, elle s’est réfugiée chez ses parents qui vivent au Sud, pas loin d’où vous savez. Pour l’instant, elle ne peut plus remonter avec eux puisque les frontières sont à nouveau verrouillées, de part et d’autre, selon des modalités aléatoires, avec un couvre-feu fixé à 18h qui les obligerait à foncer ! De toute façon, à son retour, il n’y aura plus de bistrot et plus de boulot pour elle. Cette réalité-là, beaucoup ne veulent pas la voir. Des étudiants qui viennent quémander les repas solidaires qu’on prépare au coin du fourneau et d’un chaudron qui n’est plus assez grand pour nourrir toutes les bouches, pourtant j’en ai croisés. Jamais la grande précarité n’a été aussi palpable au détour du chemin. J’en pleure aussi.

Des salles de spectacles sous les verrous, le directeur de l’opéra est mort, des concerts interdits dans les églises ouvertes pour quinze personnes seulement, des cinémas à l’abandon qui jamais ne reprendront, des chorales sans chœur, des ballets sans chaussons, des associations qui n’associent plus que des zombies, le moral à zéro, les plages interdites, la mer qui monte, l’amer qui tue, les courbes qui baissent et toujours le même discours : la peur dans l’attente du vaccin salvateur. Jamais le nombre de croyants n’a été si important.

Le saint-salut est attendu !